À propos de l’intimité vocale

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Note d'intention

Romain Gneouchev

En 2017, Rémy Bouchinet m’appelle et me dit qu’en écrivant un texte, Dédale d’un soupeur, mon visage lui était apparu, et que ce texte, nous irons le finir ensemble dans le Transsibérien. Nous sommes alors presque des inconnus l’un pour l’autre, je dis : « D’accord. ». Deux ans plus tard, nous sommes dans le train et la création de Dédale d’un soupeur est prévue pour Mai 2020.

C’est là, quelque part entre Moscou et Irkoutsk, alors que Rémy est sur la banquette du haut à écrire Chute(s), et que je suis allongé juste en dessous, apprenant le texte (achevé plus tôt que prévu) qu’il a écrit pour moi, que notre tandem auteur-metteur en scène est né.

Chute(s) est la suite logique de ce dialogue amorcé il y a bientôt cinq ans.

Bien que Rémy ait écrit ce texte pour que je le mette en scène, je n’ai pas accepté tout de suite. Quelque chose de cette écriture du souvenir me résistait, je n’arrivais pas à la projeter au plateau. Puis, un matin, un studio de musique délabré m’est apparu.

Je relis le texte et je comprends d’où est venue cette intuition. Chute(s) est un espace mental, la pièce se passe dans la tête de Romain. Chez lui, comme le dit le monologue final, tout passe par un sens : l’ouïe. Ce studio de musique serait donc l’intérieur (réel et figuré) de Romain, le lieu où sa subjectivité et sa manière de percevoir le monde peuvent s’exprimer : là où le son est créé. L’écriture, alors projetée dans ce dispositif, est venue rencontrer deux obsessions très personnelles quant à ma manière d’envisager le théâtre : l’intimité avec les voix des acteur.ice.s, et l’importance de la musique.

L’enjeu du spectacle devient le suivant : rendre audible aux spectateur•ice•s comment Romain perçoit le monde. Les plonger dans sa tête afin qu’elles/ils fassent l’expérience de cette écriture mentale.

L’écriture de Rémy me touche en ce qu’elle fait réellement appel au théâtre. Elle laisse de la place à un geste de plateau qui viendrait mettre en lumière les secrets qu’elle recèle et ne laisserait pas forcément apparaitre en première lecture. Dans Chute(s), Rémy joue à arrêter le temps, comme pourrait le faire un roman, il s’autorise à ouvrir un espace d’intimité où un.e protagoniste exprime précisément ce qu’il ou elle a traversé à un instant T. Le dispositif, lui, permet un zoom sonore, l’acteur.ice prend le temps nécessaire pour venir dire/chuchoter/confier au micro ce qu’il ou elle a vécu, et Romain sauve ce fragment de l’oubli en l’enregistrant.

En utilisant les trois micros de studio je cherche à me rapprocher réelle- ment des voix. Cette fragilité, cette vibration si fine, cette fêlure qui se situerait quelque part juste avant les larmes et qu’on ne parvient pas à entendre sans amplification est quelque que chose qui me manque au théâtre, et que le cinéma ne parvient pas non plus à prendre réellement en charge.

Cette écriture et ses thématiques, si intimes, si passionnées, si précises, et si violentes parfois, me semble-t-il, ont besoin de ça, de cette qualité d’écoute, de ce niveau de définition sonore.