Écrire et décrire des êtres brisés

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Note d'écriture

Rémy Bouchinet

Un jour, je reçois un appel de Romain qui me demande si je n'ai pas un texte ayant pour thème « Le temps-libre, l'oisiveté, l'errance » pour l'un de ses amis metteur en scène. Quelques semaines plus tard, le metteur en scène en question avait trouvé son texte ; de mon côté je me laissais bercer par cette thématique. À ce moment là, je relisais les classiques du XVIIe, en particulier Racine.

J'ai vu dans ces trois mots, « temps libre, oisiveté, errance » la possibilité d'écrire une pièce pour trois interprètes : Romain, Lola, Léopold. Rapidement, j'ai pensé aux trois protagonistes de Bérénice. Pour chacun•e•s d'eux, j'attribuai un mot en tordant la tragédie de Racine. Au centre de ce texte, il y a donc trois corps et trois voix. Quand la pièce s'ouvre, la fable a déjà eu lieu.

Écrire et décrire des êtres brisés, mettre en lumière le désarroi et le désespoir de jeunes gens, c'est tout cela que j'ai souhaité explorer avec Chute(s). En plus de la rupture amoureuse et de l'amour refoulé, je m'interroge sur notre système économique et social contemporain. Sur le culte de la méritocratie, du travail et de l’effort.

À force d'acharnement, à force de refouler la fatigue, à force de vouloir devenir une grande danseuse et faire carrière, Lola finit inexorablement par faire un burn-out. Léopold, trop fragile pour affronter la réalité du milieu, tombe en dépression. Romain, rongé par un amour inavouable, sombre dans la toxicomanie.
Comme dans Dédale d’un soupeur, je descelle, dans mon travail, l’importance du souvenir. Un interprète se souvient sans cesse. Il doit faire ressurgir pour le spectateur, le passé si fragile de sa rencontre avec le texte. C’est ce que raconte Chute(s) : une dernière réminiscence.

Mais notre cerveau, souvent, s’amuse à tordre ce dont on se souvient, à réécrire, à ré-inventer, jusqu’à ce que le souvenir initial ne soit plus qu’un fantasme, un résidu desséché qui meurt lentement, jusqu’à ce qu’il ne laisse dans notre cerveau, qu’un miroir déformant.